Dans le bidonville de Shwe Paukan, à Rangoun, le verdict des habitants est sans appel: rien n'a changé depuis l'arrivée du nouveau régime. Et les attentes déçues de ces pauvres parmi les pauvres font peser un risque social non négligeable sur le processus de réformes en Birmanie.

"Nous n'avons pas senti le changement dont tout le monde parle", constate simplement Ni Ni Win, 27 ans, qui gagne environ 3 dollars par jour dans une usine de recyclage de plastique. "Je pense que cela n'a touché que le sommet de la société", poursuit celle dont la bicoque de bambou est construite sur pilotis, dans un bidonville du nord de l'ancienne capitale inondé chaque mois pendant les grandes marées.

Mais au moins la mère de famille et ses voisins ont-ils le droit d'être là. Quelques kilomètres plus loin, près du centre-ville, 400 à 500 personnes vivent illégalement à Aung Mingalar, bidonville coincé entre une rivière et des terrains de stockage de troncs de teck qui servent de toilettes à ciel ouvert. Ko Ko, 46 ans, vit dans la peur de l'expulsion.

L'ONU-Habitat estime qu'au moins 40% des quelque 5 millions d'habitants de Rangoun sont "pauvres ou extrêmement pauvres", obligés de survivre "au jour le jour", souvent dans des logements insalubres ou des installations illégales. "Rien n'a été fait depuis 20 ans", commente Michael Slingsby, spécialiste en développement urbain pour l'agence onusienne. Et s'il note une récente prise de conscience des autorités, les actions concrètes sont rares. "Elles manquent de ressources plus que d'intérêt pour faire quelque chose", poursuit-il, regrettant que les bailleurs de fonds étrangers négligent la pauvreté urbaine dans un pays où officiellement, 26% des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, dont une grande majorité en zone rurale.

Après plus d'un an de réformes politiques spectaculaires, le président Thein Sein a promis en juin une deuxième vague axée sur l'économie, avec l'espoir de réduire la pauvreté à 16% d'ici 2015. Le gouvernement a lancé des chantiers économiques, notamment en promulguant une loi encadrant les investissements étrangers. Mais leur impact ne sera pas visible à court terme pour les plus défavorisés du pays, lui-même l'un des plus pauvres de la planète. La frustration pourrait alors se transformer en colère.

Ni Ni Win, elle, refuse d'attendre. Elle a pris son destin en main au sein d'un groupe d'épargne mis en place par l'ONU-Habitat à Shwe Paukan. Chacune des 14 femmes du groupe place 1.100 kyats (1,30 dollar) chaque semaine dans une boite de métal cadenassée, dans l'espoir que leur pécule grossisse suffisamment pour, un jour, leur permettre de lancer leur propre affaire. "Elles espèrent que leur rêve devienne réalité", explique Win Kyi, 64 ans, leader du groupe. Mais sans compter sur le gouvernement. "Nous ne vivrons pas dans l'attente".

2012.12.05 Le Point