Pendant des décennies, les censeurs taillaient à la hache dans les articles, romans, chansons et autres contes de fée pour s'assurer que rien ne soit proposé aux Birmans qui ne soit choquant pour la culture locale, ni ne mette en danger l'autorité absolue du régime militaire.

En 2007, Nu Nu Yi, une des auteurs les plus connues de Birmanie, avait été nominée pour le plus prestigieux prix littéraire en Asie, le "Man Asian Literary Prize". Mais alors que "Smile as they bow" ("Souris quand ils se prosternent"), un des rares romans birmans à avoir jamais été traduit en anglais, était acclamé à l'étranger, il était censuré en son pays.

L'intrigue se déroule lors du festival annuel de Taung Pyone, qui célèbre les esprits ou "nats" omniprésents dans le folklore birman. La fête laisse s'exprimer à découvert les minorités sexuelles et fait la part belle aux médiums et esprits en tout genre, souvent travestis, parés de costumes extravagants. Une fenêtre de liberté pour une homosexualité officiellement hors-la-loi, mais qui s'est affichée en mai dernier avec la première "Gay pride" de l'histoire du pays. Célébrée par quelques centaines de personnes, dans un hôtel de la ville.

"Smile as they bow" a fini par être publié, traduit, reconnu. Sans épargner à son auteure un profond questionnement: "je me sentais impuissante", se souvient-elle. "Les écrivains ont un contrat social avec les lecteurs. Nous sommes censés faire la lumière sur une réalité (...) et non en offrir une version aseptisée". Mais Nu Nu Yi n'y voit qu'une première pierre dans la complexe édification d'une pensée effectivement libre en Birmanie. "Pour une grande majorité, la censure existe dans la tête", dit-elle. Le pays est "un Etat qui se réforme, pas un Etat réformé".

2012.10.28 Le Nouvel Obs