Il y a tout d’abord la volonté de revenir sur la scène internationale et d’améliorer l’image de la Birmanie aux yeux du monde, d’attirer les investisseurs étrangers en profitant des nombreuses ressources naturelles dont elle dispose pour redresser son économie ; il y a aussi l’intérêt de s’ouvrir à l’Occident en profitant d’une place géostratégique particulièrement prisée, au carrefour de l’Inde, de la Chine et du Sud-Est asiatique. Mais si la Birmanie, qui exercera la présidence de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 2014, connaît un courant réformateur encourageant et inédit, il convient de rester prudent : le processus démocratique n’est pas irréversible, et la démocratie en marche n’en est qu’à sa première étape. Il subsiste encore dans ce pays de nombreuses failles, qui constituent autant de résistances au changement.

Mais si l’on peut aujourd’hui se réjouir de ces spectaculaires efforts d’ouverture entrepris par le régime, il convient de cultiver, à l’instar de la Dame de Rangoon, « un optimisme prudent » en considérant les obstacles qui subsistent et l’ampleur du travail qu’il reste à accomplir.

Le problème des violences ethniques qui continuent de faire des victimes sur le sol birman représente la principale menace à la transition démocratique et à la stabilité du pays. Peuple sans identité, refoulé et discriminé, les Rohingyas sont la seule minorité à ne pas être reconnue officiellement par les autorités de Naypidaw. La question de leur citoyenneté aura donc besoin d’un cadre juridique pour être réglée, sans quoi les efforts pour apaiser ces tensions seront vains.

De même, voilà un an que la situation dans l’Etat Kachin au Nord du pays est inquiétante : après un cessez-le-feu long de 17 ans, rompu par l’armée birmane le 9 juin 2011, les civils y subissent des attaques continues et toute aide humanitaire est bloquée. Ces troubles communautaires sont l’un des défis majeurs dans le processus de réconciliation nationale, condition sine qua non à l’édification d’une nation démocratique.

Mais pas seulement : il reste encore en Birmanie des centaines de prisonniers politiques, dont Aung San Suu Kyi réclame la libération sans condition – « un prisonnier d’opinion est un prisonnier de trop » – dans son discours du Nobel de la Paix à Oslo le 16 juin dernier. Le très haut niveau de chômage parmi les jeunes Birmans (près de 70%) constitue une véritable bombe à retardement, entraînant des problèmes d’alcool et de drogue. Les investissements étrangers devront apporter des emplois à cette jeunesse désabusée. D’autre part, de nombreux travailleurs migrants en Thaïlande sont régulièrement victimes d’exploitations et veulent revenir en Birmanie, mais les conditions préalables à leur retour ne sont pas réunies : la paix à l’intérieur des frontières et la croissance économique qui leur garantirait de l’emploi doivent d’abord être assurées, tandis que ces immigrés bénéficient de moins en moins des aides humanitaires des ONG, qui réorientent leurs priorités à l’intérieur du pays.

Le régime de Thein Sein est encore hésitant à soutenir sa population : la multiplication des manifestations contre les pannes d’électricité chroniques a donné lieu à des arrestations, la confiscation des terres s’intensifie bien souvent au profit de projets industriels, même si depuis peu le gouvernement prend davantage en compte les protestations de ses habitants. Enfin le développement démocratique en Birmanie doit passer avant tout par une profonde réforme de la justice, totalement dépendante du pouvoir militaire, et l’instauration de règles de droit visant à protéger le peuple birman.

2012.06.26 une marche optimiste mais prudente vers la démocratie