Léon de Riedmatten a été le représentant du Centre pour le dialogue humanitaire de Genève au Myanmar, où il a mené un travail de médiation entre Aung San Suu Kyi et les autorités birmanes.

Aung San Suu Kyi, l’ennemie publique numéro un du régime pendant plus de 20 ans, va désormais faire partie de la vie politique. Un moment historique pour l'ancienne Birmanie? Ce n’est pas seulement l’élection, mais tout ce qui s’est passé ces huit derniers mois qui paraissait absolument impensables il y a encore un an. Je n'aurais jamais imaginé que le parti d'Aung San Suu Kyi remporterait tous les sièges qu’il briguait. C’est un rêve qui se réalise, même s'il ne faut pas céder à l'euphorie.

En qualité de députée, que peut-elle faire concrètement pour son pays? Avec son élection au Parlement, qui doit encore être confirmée officiellement, Aung San Suu Kyi entre dans le système. C’est positif, mais à condition que les autorités et la majorité acceptent de coopérer avec elle pour effectuer les réformes prévues. Si les détenteurs du pouvoir et ceux qui veulent maintenir les militaires à la tête du pays la considéreront au contraire comme un danger, sa position peut alors devenir difficile. Avec le risque d’accéder à une fonction sans pouvoir contribuer au développement du pays et aux réformes politiques nécessaires, ce qui entacherait sa crédibilité. Mais ceux-ci n'ont aucune intention de se retirer et de laisser le pouvoir aux civils. Le résultat des élections est une gifle aussi bien pour les militaires que pour le parti au pouvoir. Il faudra voir s’ils acceptent cette nouvelle réalité. Si l'armée refuse de suivre les réformateurs, il sera impossible d'avancer. Sur le papier, les positions des militaires et d'Aung San Suu Kyi sont inconciliables: la grande interrogation sera de voir qui, d'ici aux élections de 2015, réussira à s'imposer face à l'autre.

On a perçu ces derniers mois plusieurs signaux positifs. A commencer par la libération de prisonniers politiques et les accords de cessez-le-feu passés avec les groupes rebelles. Comment analysez-vous ces changements? Pour le moment, il n’y a pas beaucoup de choses concrètes. Si je me mets dans la peau du commun des mortels birmans, ma situation n'a pas changé. La seule différence est que j'ose m'exprimer plus qu'avant. Pour le reste, ce ne sont que de belles paroles. Il y a eu des cessez-le-feu, c’est vrai. Mais on ignore encore l’utilité de ces accords pour les populations locales et le développement des régions périphériques. La Birmanie repart à zéro et les problèmes sont nombreux.

Quels sont les plus grands défis qui attendent le pays? Le principal défi est la question ethnique. Un problème qui peut provoquer des tensions et ralentir le développement du pays. Cela fait depuis 60 ans que les Birmans et les minorités ne se comprennent pas ou ne veulent pas se comprendre: ce ne sera pas facile de faire en sorte que tous les citoyens du pays aient les mêmes droits et devoirs. En outre il y faudra accorder une certaine autonomie aux régions périphériques, voire même constituer un État fédéral. Mais cela prendra du temps, notamment parce que les régions frontalières sont riches en ressources naturelles et représentent un important point de passage, compte tenu de la position occupée par la Birmanie entre l'Inde et la Chine.

L’Union européenne et les États-Unis se sont dits prêts à lever les sanctions imposées au Myanmar. Est-ce le premier pas vers l'amélioration de la situation socio-économique de ce pays? Il est indispensable de soutenir les gens qui entendent réformer le pays. La levée des sanctions est donc un premier pas qui donnera plus de poids et de crédibilité aux réformateurs pour s'opposer aux faucons du régime. C'est un point crucial. Ceci fait, les pays occidentaux devront continuer à faire pression pour des améliorations, par exemple dans le domaine des droits humains.

2012.04.02 Swiss Info La question ethnique est le grand défi