A Naypyidaw, il faut souvent se pincer ou se frotter les yeux pour ne pas perdre pied. Une visite de la ville a tout de l’excursion dans un décor de cinéma déserté par les comédiens et les techniciens. Une immersion dans un Far West architectural où la grandiloquence le dispute à l’extravagance, où l’espace agricole est métastasé par des excroissances urbaines sans vie. Sans que jamais l’habitant soit le bénéficiaire de ces aménagements mégalos. La «résidence des rois» ou «cité royale», selon la traduction de Naypyidaw, demeure une ville irréelle.

Dès lors, les diplomates étrangers et la quasi-totalité des Birmans tombent de leur chaise, en 2005, quand ils apprennent le transfert immédiat de toutes les administrations de Rangoun vers la nouvelle ville. L’opération se déroule le 6 novembre de cette année-là, à partir de 6 h 37 : l’horaire idéal selon les numérologues consultés par des militaires épris d’astrologie, d’esprits bouddhistes et chamaniques. La plupart des fonctionnaires avaient appris la nouvelle de leur délocalisation quarante-huit heures auparavant, voire vingt-quatre heures seulement. «Ils ont été sommés de partir sans délai et sans rien dans un lieu qu’ils ne connaissaient pas», explique Ko Ko, un manager du secteur privé. Par bus, par train, par camion militaire, la junte a déplacé des milliers de personnes en quelques heures.

La ville a été pensée par les militaires et pour les militaires. Chaque zone est indépendante l’une de l’autre et facilement verrouillable en cas de problème. Chaque quartier a une fonction bien précise. Certains fonctionnaires n’hésitent pas à parler d’un «camp de travail» pour désigner leur ministère, et même leur logement de fonction.

La nouvelle capitale se veut l’anti-Rangoun. Avec ses 5 millions d’habitants, la mégapole embouteillée et agitée a souvent joué la frondeuse contre le clan militaire au pouvoir. Les généraux ont gardé en mémoire les émeutes à répétition qui ont bloqué Rangoun et parfois dégénéré en répression sanglante. Comme au printemps 1988.

2012.02.19 Liberation -naypyidaw-la-capitalissime