Entièrement ravalée, la cathédrale de brique rouge de Rangoun a fière allure pour célébrer son centenaire. 88 vitraux endommagés par le cyclone Nargis de mai 2008 ont été remplacés. Les rénovations de lieux de culte chrétiens sont rares en Birmanie. « Le pouvoir les restreint et il ne nous autorise pas à établir de nouvelles paroisses ni à construire de nouvelles églises , regrette Mgr Charles Bo, l’archevêque de Rangoun. Nous sommes considérés comme des fidèles d’une religion étrangère. » Il refuse pour autant de parler de persécutions : les Birmans sont libres de rejoindre l’Église s’ils le souhaitent ; les ordinations et les enseignements dans les séminaires ne font pas l’objet d’un contrôle particulier.

En dépit de ce climat plus serein, les chrétiens hésitent encore à s’investir sur la scène politique birmane. Ils ne représentent que 4 % de la population. Les catholiques, eux, comptent pour 1,3 % environ des 54 millions d’habitants. « À chaque messe, nous prions pour notre pays, dit Thiri, une jeune catholique de Rangoun, professeur d’anglais. Mais nous ne parlons pas de politique. Le politique et le religieux sont très séparés. » D’après elle, une intention de prière formulée dans une messe pour les prisonniers de conscience du pays n’attirerait plus les foudres du pouvoir. « Mais c’est notre habitude depuis très longtemps de rester à l’écart de la politique », explique-t-elle.

L’Église espère inverser cette tendance, progressivement. Et ses dirigeants essaient de montrer l’exemple en s’investissant davantage. Dans un premier temps, ils espèrent établir des bases de confiance pour un dialogue constructif avec le pouvoir. Depuis quelques mois, l’Église catholique parvient à développer des activités de charité en Birmanie. « Par exemple, dans l’État Chin, nous obtenons maintenant plus facilement des autorisations pour construire des ponts, relève un prêtre originaire de cette région du nord-ouest du pays, qui préfère rester anonyme. Auparavant, les autorités rechignaient à développer les infrastructures dans cette zone, car elles craignaient que le christianisme se propage. » En septembre, l’archevêque de Rangoun, Mgr Charles Bo, a appelé les dirigeants politiques birmans à construire « une paix durable » dans le pays avec l’aide des responsables religieux. Une allusion aux conflits ethniques aux frontières de la Birmanie, où de nombreux groupes armés combattent le pouvoir central pour obtenir plus d’autonomie. Depuis l’été, l’armée birmane affronte la rébellion kachin, dans le nord du pays. « Plus de 900 soldats, côté gouvernemental, y ont été tués, calcule l’archevêque de Rangoun, d’après ses propres sources. Les civils doivent fuir les zones de combats. Ils ont essayé de se réfugier en Chine. Mais la Chine les en empêche. » Mgr Charles Bo estime que l’Église pourrait jouer un rôle de médiateur pour mettre un terme à cette guerre civile, la minorité chrétienne étant largement présente dans l’État de Kachin. « Nous avons envoyé un communiqué au gouvernement pour demander que ce conflit soit résolu de manière pacifique, précise-t-il. Naturellement, nous n’avons pas reçu de réponse. »

Les réformes entreprises par le pouvoir birman sont très récentes. La culture de la méfiance vis-à-vis de toute organisation distincte de l’État, typique dans tout État totalitaire, ne peut pas disparaître en quelques mois. « Le gouvernement fait preuve de suspicion à notre égard. Il ne nous fait pas confiance », confirme Mgr Charles Bo. Les vieux réflexes de l’État policier n’ont par ailleurs pas disparu dans ce pays qui a basculé dans la dictature il y a près d’un demi-siècle. « Parfois, il y a encore des espions qui assistent aux messes, surtout en ville, précise un religieux de Rangoun. À la campagne, nous pouvons dire ce que nous souhaitons aux paroissiens. »

2011.12.08 La Croix -La-timide-entree-des-chretiens-birmans