PORTRAIT - L'ex-James Bond girl s'est battue pendant quatre ans pour incarner à l'écran la vie de la Prix Nobel birmane Aung San Suu Kyi.

Vedette des superproductions asiatiques, "James Bond girl", Michelle Yeoh s’est battue pendant quatre ans pour ce projet d’adaptation de la vie de Aung San Suu Kyi. Aucun producteur avant Luc Besson ne voulait porter à l’écran l’incroyable destin de la figure de proue de la démocratie birmane. "Pourtant, The Lady est un film de superhéros, au moment où Hollywood ne jure que par des justiciers comme Spider-Man. Certains financiers ne savaient même pas où se situait la Birmanie…"

"Auparavant, je calais un tournage en fonction des trous dans mon emploi du temps. Désormais, j’ai compris ce qui avait du sens à mes yeux et j’ai d’autres priorités". Qui l’ont exhortée à repousser ses limites, au point de devenir le double parfait de son modèle. Elle était prête à tout pour y parvenir. Le résultat est stupéfiant. "Elle s’est littéralement imprégnée de Suu, si bien que je n’avais pas besoin de la guider, confie Luc Besson. Michelle est allée très loin dans sa préparation". Petit gabarit (1,63 mètre pour 45 kilos), elle a perdu 5 kilos, pris des leçons de piano et de birman. "Pas question de mémoriser mon texte phonétiquement, sans le comprendre". Le malais, sa langue natale, l’anglais, le cantonais et le mandarin, qu’elle maîtrise, ne lui ont été d’aucune aide. Grâce à son exigence et à sa motivation, elle a réussi à s’exprimer le plus naturellement possible. "La première étape de mon engagement envers Suu. Il n’était pas question de calquer sa voix, ses manières, ses postures. Mais de voir à travers ses yeux, comprendre où elle puisait cette sagesse, cette force intérieure et cette dévotion. Son charisme est saisissant. Lorsque Suu entre dans une pièce, on ne regarde qu’elle". Pendant sa réclusion, Aung San Suu Kyi s’est réfugiée dans le bouddhisme et la méditation, pour oublier sa solitude. Michelle Yeoh s’est plongée dans les mêmes lectures. Qui ne lui étaient pas totalement inconnues : les arts martiaux, pratiqués à haute dose durant sa carrière dans le cinéma d’action à Hongkong, lui ont inculqué une philosophie et une grande capacité de concentration.

La rencontre avec Aung San Suu Kyi a eu lieu en décembre 2010, un mois après la libération de la Dame. Le visa de Michelle Yeoh a été accordé, mais pas celui de Luc Besson. Munie de son passeport malais, l’actrice a demandé à son frère de l’accompagner. "Dans nos bagages, on avait des cadeaux de toute l’équipe. Ambassadrice pour Guerlain, je lui ai apporté de la crème hydratante et plein de rouges à lèvres!" Aung San Suu Kyi l’a reçue dans sa bibliothèque, "son sanctuaire", et l’a serrée dans ses bras. "Elle s’est excusée pour le désordre et le ménage qui n’avait pas été fait. Elle avait l’air fatiguée. Elle ne dort pas beaucoup : depuis qu’elle a été relâchée, elle passe des heures au téléphone et dépense son énergie à rattraper le temps perdu". Michelle a eu l’impression de retrouver une vieille amie pleine de bienveillance. "On n’a jamais parlé de sauver le monde. Notre conversation était ordinaire et chaleureuse. Sa bonne humeur m’apaisait". Il faut soutenir les rêves. Suu n’aurait jamais mené sa croisade politique sans l’aide de son mari et de ses fils. Ils savaient que le moment de la séparation arriverait. Ils n’ont jamais utilisé le mot sacrifice. Quand je manque de confiance en moi, la détermination de Suu m’inspire".

La performance à l’écran de Michelle Yeoh a été saluée par d’anciens membres du parti d’Aung San Suu Kyi, qui ont participé au tournage en Thaïlande. "Un sexagénaire a ainsi fondu en larmes lors d’une scène de discours. 'Il y a vingt ans, j’écoutais Daw Suu depuis la foule ; aujourd’hui, je me tiens derrière elle', m’a-t-il avoué". Refoulée la deuxième fois qu’elle a voulu aller en Birmanie, Michelle Yeoh poursuit son voyage intérieur dans l’espoir d’atteindre le courage, la dignité des réfugiés qu’elle a côtoyés. "Certains ont passé quinze, vingt ans en prison, mais n’éprouvent aucune haine, aucune frustration. Je ne veux plus me disperser. J’ai encore du chemin à parcourir avant d’acquérir la sagesse. Je dois me débarrasser de mon stress, éprouver davantage de compassion".

2011.11.20 Journal du Dimanche