Dès 6 heures du matin, des camions livrent les vendeurs de presse dans la 46e rue de Rangoun. Assis en tailleur sur son étal de bois, Ye Htut dispose ses piles de quotidiens autour de lui. Les exemplaires se vendent comme des petits pains. « Aujourd’hui, les actualités les plus populaires concernent Aung San Suu Kyi, raconte le vendeur. Les lecteurs achètent ces journaux, car ils essaient de deviner ce qui va se passer. Les ventes de Ye Htut ont progressé de 20 % depuis que le régime autorise la publication du nom, des propos et des images de la lauréate du prix Nobel de la paix 1991.

En Birmanie, depuis plus de quatre décennies, un bureau de la censure épluche tous les journaux avant publication. Cette institution coupe les passages qui lui déplaisent dans ces articles sur « la Dame ». Mais les censeurs du régime coupent de moins en moins. Et le directeur de l’institution de contrôle a lui-même préconisé, début octobre, « l’abolition de la censure dans un proche avenir ».

Le régime a par ailleurs desserré son contrôle du Web. Depuis septembre, YouTube, la plate-forme de blogs blogspot.com, ainsi que les sites de la BBC et de nombreux médias birmans en exil sont accessibles en Birmanie. Les journalistes locaux ont le droit de citer ces sources dans leurs articles.

Cet assouplissement de la censure facilite le travail des médias. « Il y a deux ans, 30 à 40 % du journal étaient coupés. Aujourd’hui, seulement 5 % », détaille Douglas Long, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire The Myanmar Times. Lui-même envoie les pages de son journal au bureau de la censure tous les vendredis après-midi. Vingt-quatre heures plus tard, le couperet tombe.

D’ordinaire, les journalistes devaient revoir leur copie très tard tous les samedis soir avant d’envoyer le journal à l’imprimerie. « Nous travaillions jusqu’à 1 heure ou 2 heures du matin pour combler les trous. Aujourd’hui, nous terminons avant 21 heures », explique-t-il. Mais les coupes sont toujours aussi imprévisibles. Certes, les censeurs éliminent systématiquement toute référence aux conflits ethniques et au soulèvement démocratique de 1988. Mais ils autorisent maintenant l’expression « prisonniers de conscience » tout en bannissant celle de « prisonniers politiques ». Où est la logique ?

Reste que les autorisations de mise sur le marché des nouveaux titres sont toujours aussi difficiles à obtenir. Kang Myint Htut, un homme politique d’opposition, essaie de monter un hebdomadaire. Il y a quatre mois, il a demandé une licence au ministère de l’intérieur pour vendre sa publication. On lui a posé mille questions sur son engagement, son passé de prisonnier politique, sa candidature malheureuse aux élections de novembre 2010. Officiellement, son dossier est toujours à l’étude. « Les autorités ne donnent les licences qu’à des intermédiaires qui leur sont proches, décrypte un habitué du système. Elles ne les octroient que lorsqu’elles sont certaines de pouvoir exercer un contrôle sur les responsables de la publication. » La procédure d’octroi d’une licence peut coûter plusieurs milliers de dollars. Et prendre plusieurs années.

Par ailleurs, une vingtaine de journalistes et blogueurs sont toujours détenus en Birmanie pour avoir publié des informations sensibles

2011.11.09 La Croix La-censure-s-allege-dans-les-journaux