Depuis que la lauréate du prix Nobel de la paix a rencontré, en août dernier, le président Thein Sein – un ancien général –, une batterie de réformes symboliques et concrètes ont été dévoilées coup sur coup, tant et si bien que, pour la première fois depuis des décennies, ce pays qui a dû si longtemps se résigner à être réprimé ose désormais parler ouvertement de politique.

Au cours des huit semaines écoulées, le gouvernement a suspendu le projet de barrage hydroélectrique de Myitsone, sur le fleuve Irrawaddy, commandité par les Chinois ; il a levé les restrictions d’accès à Internet ; permis à l’opposition de s’exprimer dans les médias et autorisé la formation de syndicats (ainsi que le droit de grève).

Le 12 octobre, plus de 200 (des 2 000) prisonniers politiques ont recouvré la liberté (sur quelque 6 000 amnistiés), parmi lesquels le célèbre comédien et humoriste Zarganar, condamné à cinquante-neuf ans de détention pour avoir critiqué la réaction du gouvernement au cyclone Nargis (en 2008), Zaw Htet Ko Ko, l’un des leaders du soulèvement étudiant de 1988, et Say Say Htan, qui purgeait une peine de cent quatre ans pour avoir rejeté la nouvelle Constitution du pays.

Parmi les autres signes engageant à la confiance, la nomination en avril d’U Myint, un proche d’Aung San Suu Kyi, comme conseiller économique du président. Le nouveau gouvernement entend attirer des investissements étrangers pour développer l’économie, mais il sait que son potentiel de croissance restera entravé par les sanctions imposées par les Etats-Unis et l’Union européenne.

La prudence des pays occidentaux et leur exigence de voir tous les prisonniers politiques libérés restent toutefois inchangées pour le moment. Une attitude qui trouve un certain écho dans les rues de l’ancienne capitale, où la stupéfaction et l’euphorie sont tempérées par la crainte que ces réformes ne soient qu’un feu de paille. Les agents en civil et les jeunes appara­tchiks n’ont pas disparu des rassemblements et des périmètres jugés sensibles. Zarganar lui aussi oscille entre optimisme et dé­fiance. Quelques heures plus tôt, l’humoriste se trouvait encore derrière les barreaux de la prison de Myitkyina, où il avait passé toutes ses journées en cellule de confinement à partir de son incarcération, en juillet 2008. Il dit avoir réussi à ne pas sombrer dans la folie en marchant douze heures par jour, en lisant et en écrivant. A sa sortie, il n’a pas caché son mécontentement en découvrant que le dialogue amorcé entre Aung San Su Kyi et le gouvernement n’avait pas débouché sur la libération d’un grand nombre de prisonniers politiques. Le lendemain, cependant, il a confié à Mizzima, un webzine birman proche de la dissidence, qu’il se félicitait de la tournure qu’ont prise les événements. “Certains craignent qu’Aung San Suu Kyi ne soit manipulée par le gouvernement, mais je ne pense pas que ce soit le cas, a-t-il déclaré. Si vous donnez de l’or à un singe, il sera bien incapable de l’utiliser, mais, si vous le donnez à un orfèvre, il en ira autrement. Aung San Suu Kyi est une orfèvre. Je pense que ces entretiens n’entraveront pas notre marche vers une démocratie véritable. Nous devons les considérer comme une initiative positive.”

2011.10.20 Courrier Internationational