C’est le Coluche de Birmanie, un homme au courage inouï qui a suivi l’exemple de la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi en s’élevant contre l’injustice de la dictature. Star de la télévision et de la vie culturelle de son pays, Zarganar a été arrêté une première fois en 1988, puis libéré six ans plus tard. En 1997, le dentiste de formation se frottait de nouveau avec la justice de son pays, avec un film satirique, «Lun», qui lui valait une interdiction de filmer. Le 26 septembre 2007, Zarganar est arrêté à son domicile lors des grandes manifestations anti-gouvernementales pour avoir supporté le mouvement contestataire des moines bouddhistes. Avec son ami Kyaw Thu, il avait publiquement apporté de l’eau et de la nourriture aux manifestants avant une marche de protestation, une nouvelle provocation pour le pouvoir en place. Relâché, l’acteur-réalisateur reprenait la parole dans les médias étrangers et critiquait l’inaction gouvernementale après le meurtrier passage du cyclone Nargis au printemps 2008. La provocation de trop. De nouveau mis derrière les barreaux, Zarganar était condamné à 59 ans de prison pour «troubles à l’ordre public», une peine ramenée à 35 ans par la justice birmane, dans sa grande clémence (sic).

Libéré mercredi, l’homme a bien sûr conservé son goût pour le combat. Même s’il arborait un grand sourire en compagnie de ses proches, il ne pouvait s’empêcher de penser aux prisonniers de conscience qui restent sous les verrous malgré les annonces officielles. «Je ne suis pas content du tout car aucun des 14 prétendus prisonniers politiques, mes amis à la prison de Myitkyina ne figurent pas parmi ceux qui sont libérés aujourd'hui. Je serai heureux et je remercierai le gouvernement quand tous mes amis seront libérés», a-t-il déclaré, à sa sortie. Interrogé sur un message qu'il voudrait délivrer au président Thein Sein, qui avait annoncé mardi cette amnistie de plus de 6300 détenus – 300 seulement ont été immédiatement libérés -, il a répondu: «Je voudrais lui demander pourquoi il est si pingre. Il reste encore beaucoup de gens en prison qui doivent être libérés.»

Dans un entretien accordé au journal «The Irrawaddy», l’activiste revient sur sa vie de prisonnier. «Les conditions d'incarcération étaient moins mauvaises que durant les années 1990, lorsque j'avais été détenu pour la première fois. Je n'ai pas été torturé, et les responsables ne nous ont pas non plus insultés. Mais nous n'avons jamais reçu la visite du CICR (Comité International de la Croix Rouge)», a expliqué ce libre penseur. «Lorsqu'ils m'ont annoncé que je serais libéré, j'ai demandé en blaguant si cela voulait dire que mon âme serait libérée de mon corps», a-t-il ajouté avec humour. Et Zarganar d’annoncer qu’il continuerait à se battre pour l’établissement d’une vraie démocratie en Birmanie. «Tant que le système en vigueur ne sera pas une véritable démocratie, je continuerai à faire à la fois de la politique et de l'art», a-t-il confirmé, avant de démontrer qu’il n’était pas dupe du petit jeu des autorités birmanes.

Si l’opposante Aung San Suu Kyi a exprimé sa «reconnaissance» envers le gouvernement de Thein Sein, les prochains mois s’annoncent déterminants pour la suite de l’évolution démocratique du pays. Le pouvoir birman cherche à convaincre l'Association des Nations du Sud-Est asiatique (Asean), dont elle est membre, de lui confier la présidence tournante de l'organisation en 2014, avec deux ans d'avance sur le calendrier prévu, et ainsi se racheter une image sur la scène internationale, sans pour autant ouvrir la porte à une véritable démocratie. Plus de 2000 opposants birmans demeurent emprisonnés, dont le leader des manifestations de 2007, le moine bouddhiste Shin Gambira. Dans un premier temps, des milieux de l'opposition avaient annoncé la remise en liberté du chef de file de l'Alliance des moines birmans lors du mouvement de contestation réprimé dans le sang en septembre 2007. Par la suite, Aye Myint, avocat des dissidents, a déclaré à Reuters qu'après de nouvelles vérifications à la prison de Kalay, l'intéressé demeurait incarcéré dans cet établissement pour détenus politiques où il purge une peine de 68 ans de réclusion criminelle.



2011.10.13 Paris Match