Tay Za est l'homme le plus riche du pays. Une fortune constituée grâce à ses connexions avec la junte militaire. Raimondo Bultrini, journaliste italien, l'a rencontré. Une première pour un Occidental.

Vous apparaissez en tête de la liste des personnes visées par les sanctions. Comment avez-vous réussi à dégager 500 millions de dollars de chiffre d'affaires par an et à être propriétaire de dizaines d'entreprises aux activités aussi diverses que les hélicoptères et les rubis ? Mon capital est la preuve que vos sanctions occidentales ne me gênent pas. Mieux, elles me conviennent parfaitement bien, et c'est aussi le cas pour tous les autres personnes sur votre liste noire, y compris les généraux. En revanche, je n'apprécie guère que notre économie dépende entièrement des échanges avec la Chine. Ils ont de l'argent, ils peuvent tout s'offrir.

Les généraux ne partagent-ils pas votre peur de la mainmise chinoise ? Si, bien sûr. Mais à l'étranger, les gens ne semblent pas comprendre que ces sanctions vont forcément, au bout du compte, nous jeter dans les bras de Pékin. L'autre jour encore, la Chine a proposé un prêt de 30 milliards de dollars, que le gouvernement n'a pas encore accepté mais qu'il acceptera certainement très vite. En échange, les Chinois vont évidemment obtenir de nouvelles concessions. Vous devriez vous rendre compte que les vraies victimes de vos mesures ici, ce sont les pauvres, qui vivent au jour le jour.

Aung San Suu Kyi affirme que le gouvernement est responsable de la mauvaise gestion économique du pays, et le Fonds monétaire international ne dit pas autre chose. Par ailleurs, les sanctions ont pour motif explicite de punir des violations des droits de l'homme. On accuse sans cesse la Chine de violer les droits de l'homme, et où sont les sanctions ? Quant aux grands défenseurs des sanctions, comment se fait-il que les Etats-Unis et la France laissent Chevron et Total travailler ici sans la moindre restriction ? Ce ne sont que des hypocrites, qui donnent des leçons de morale tout en remplissant leurs caisses.

Mais la pauvreté, les arrestations de dissidents, le fait que le pays brade ses ressources naturelles ne vous gênent pas ? C'est incontestable, il y a des problèmes. Nous sommes humains, nous commettons des erreurs. Mais aujourd'hui nous sommes bien plus forts qu'auparavant. Et l'armée est vraiment en train de céder la place aux civils.

Beaucoup disent que ce ne sont là que des changements superficiels. Vous êtes en droit de trouver ces changements limités, mais le système est plus démocratique qu'un régime socialiste ou communiste où tout est nationalisé. Un entrepreneur peut venir ici et faire des affaires, qu'il y ait des sanctions ou pas. Quand mes comptes à Singapour ont été gelés je n'ai pas cessé de travailler mais ai dû me tourner vers des banques chinoises et du Moyen-Orient. C'est une course de vitesse qui se joue en ce moment, et croyez-moi, nous possédons des ressources uniques au monde. L'éducation, c'est la seule chose qui nous manque. Autrefois, nos élites allaient étudier aux Etats-Unis et en Angleterre. Aujourd'hui, tout ce qu'il nous reste, ce sont les écoles russes.

2011.09.09 Courrier International

2011.06.06Mizzima