Nikita, Jeanne d’Arc, Adèle Blanc-Sec, maintenant Aung San Suu Kyi, qu’est-ce qui vous fascine tant dans les destins de femmes ? Il est toujours plus intéressant de raconter l’histoire hors norme d’un personnage du sexe dit faible. Aung San Suu Kyi fait 60 kilos, elle est toute seule et tient tête à 280 000 militaires birmans. Ça m’impressionne davantage que les douze travaux d’Hercule.

“The Lady” est d’ailleurs davantage une histoire d’amour qu’un film politique, non ? Absolument. Le combat contre la junte est une toile de fond. C’est l’histoire intime de cette femme qui me plaisait. En décidant de rester en Birmanie alors que rien ne l’y oblige, elle poursuit la relation avec son père, mort quand elle avait 2 ans. Elle ne l’a donc pas connu. Poursuivre son combat, c’est faire vivre en elle, revivre son père, me semble-t-il.

Pourquoi l’avez vous appelé “The Lady ? En Birmanie, il est interdit de prononcer son nom. On dit “la Dame du lac”, “la Dame de Rangoon”, “la Dame” tout court mais on ne dit pas Aung San Suu Kyi. Le titre s’imposait donc de lui-même. Et il lui colle tellement bien à la peau… Elle est la féminité, la non-violence, la résignation, l’opiniâtreté ; bref, la classe absolue.

Avez-vous contacté Aung San Suu Kyi avant le montage ? Quand on décide de monter le projet, elle est enfermée depuis onze ans. Elle ne peut voir personne hormis un vieil avocat une heure tous les quinze jours. Elle a sa petite gouvernante, et c’est tout. C’est sa maison, mais c’est une prison. Je voulais néanmoins qu’elle sache qu’on allait faire un film sur elle. Cette simple information a mis trois mois à lui parvenir. Et autant pour recevoir sa réponse…

Vous êtes-vous posé la question du tort que le film pourrait lui causer ? J’avais ce souci au début, oui. Mais elle n’a peur de rien et est très intelligente. Et c’est elle qui a réglé le problème : elle n’a pas lu le script et ne veut pas voir le film. Donc, sa défense est simple : “Il existe un film sur moi auquel je n’ai pas participé donc vous ne pouvez m’accuser de quoi que ce soit.” “The Lady” ne sera pas diffusé là-bas mais j’espère bien qu’il sera piraté par tous les Birmans.

Qu’espérez-vous que ce film aura comme influence pour elle ? Aujourd’hui, en Birmanie, vous pouvez aller en prison pour quatre ans parce que vous avez le “Time” avec vous. Il y a 2 100 prisonniers politiques. Si le film peut servir à rappeler que c’est un pays de fou vis-à-vis duquel les démocraties s’honoreraient à être sans indulgence, ce serait déjà bien.

2011.09.06 Paris Match